Végétation spontanée en ville : des politiques récentes qui méritent d’être cadrées

Date de publication

juillet 2021

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La généralisation progressive de la gestion écologique des espaces verts publics est à l’origine d’un regain de la végétation spontanée en ville – le retour du coquelicot en ville étant un des exemples les plus parlants. L’Observatoire des villes vertes a interrogé les municipalités sur leur niveau de prise en compte et de gestion de ce retour de la nature dans des espaces jusqu’ici non végétalisés : pour cette 10e vague d’enquête*, 37 villes françaises ont partagé leurs stratégies et meilleures pratiques en matière de végétation spontanée sur leurs territoires.

En parallèle, l’Observatoire a mené une enquête auprès des citoyens pour connaître le niveau de connaissance et d’acceptabilité de ce phénomène grandissant et de plus en plus visible. S’il s’agit d’un levier puissant évoqué par les villes pour protéger et ramener la biodiversité dans l’espace public, l’élan inéluctable que connaît le développement de la végétation spontanée semble souffrir aujourd’hui d’un manque d’encadrement. Ce dernier permettrait de pérenniser la présence et l’impact de la végétation spontanée en ville, en associant l’ensemble des parties-prenantes, citoyens en tête.

Un phénomène qui gagne du terrain en ville

La végétation spontanée prend une place de plus en plus importante en ville, et ce depuis quelques années seulement. Le développement de pratiques visant à l’intégrer de mieux en mieux à l’espace publics’appuie sur plusieurs piliers solides et communs à de nombreuses villes. Les plans de gestion différenciée, élaborés pour laisser plus de place à la flore spontanée et locale, ont ainsi été mis en place ou sont en train de l’être pour plus de 9 villes sur 10 (94 %). Leur déploiement est d’ailleurs achevé pour 66 % des villes interrogées, à l’image de Marseille ou de Bordeaux.

La loi Labbé a ouvert la voie au développement de la végétation spontanée, incitant les services nature en ville à opter pour des pratiques plus écologiques d’entretien des espaces verts : 9 villes sur 10 (86 %) adoptent des techniques alternatives aux produits phytopharmaceutiques : le désherbage manuel (87 %) et la fauche tardive (91 %) étant les « nouvelles » pratiques les plus populaires.

La ville de Bordeaux a laissé libre cours à la nature aux abords du quai de Sainte-Croix
(crédits : J.-L. Assensi)

Les espaces au sein desquels la végétation spontanée (gestion, promotion) est acceptée ou promue restent encore assez circonscrits : plus de la moitié des villes répondantes (57 %) a délimité des zones prioritaires de végétation spontanée. En complément, les trois quarts des villes (76 %), grandes ou petites, ont choisi desanctuariser des zones « sans végétation spontanée » afin de préserver des infrastructures qui supportent mal une végétation non maîtrisée. En tête, les terrains de sports (47 %) et les monuments (37 %).

Huit villes répondantes, parmi lesquelles Avignon, Royan, Besançon ou Vauréal, ont toutefois fait le choix de laisser pousser la végétation spontanée sur l’ensemble de leur espace public, sans restriction particulière. Du côté de La Rochelle, un « arrêté trottoir » a été instauré, impliquant l’arrêt du désherbage par les services de la ville devant les habitations des particuliers.

Un geste pour la biodiversité locale avant tout

Qu’est-ce qui pousse les municipalités à faire le choix de laisser la nature dite « spontanée » conquérir de nouveaux espaces en ville ? Les ambitions environnementales priment : la protection de la biodiversité est la première motivation pour 57 % des villes répondantes, et apparaît dans le top 3 des motivations pour 8 villes sur 10 (81 %). Faire revenir les espèces endémiques est l’autre grand bénéfice recherché par plus d’une ville du panel sur trois (34 %).

Caen recèle de populations d'orchidées qui se nichent aussi bien sur les pelouses des jardins privés que publics.
Caen recèle de populations d’orchidées qui se nichent aussi bien sur les pelouses des jardins privés que publics
(crédits : ville de Caen)

A titre d’illustration, la ville de Caen a vu revenir plus de 10 espèces d’orchidées sauvages en ville – une végétation spontanée que la ville entend laisser s’installer et même cartographier. Poitiers souhaite faire revenir les espèces « patrimoniales », comme la fritillaire pintade, qui répondent aux besoins de la faune locale et des pollinisateurs sauvages.

La diffusion de ces pratiques a eu certaines conséquences, comme la mise en place d’une nouvelle ligne esthétique (62 %) pour certaines villes.

Toutefois, plus de la moitié des municipalités interrogées (53 %) a déclaré que cette nouvelle politique n’a pas fait augmenter la part du budget dédié à l’entretien.

« Cette multiplication de micro-expérimentations laissant libre cours à la végétation va dans le bon sens : celui de faire revenir la biodiversité ordinaire en ville. Mais laisser plus de place à plus de biodiversité suppose néanmoins d’y porter une attention particulière et de l’étudier, ne serait-ce que pour maîtriser certains risques sanitaires et environnementaux. » souligne Pascal Goubier, président d’Hortis et co-président de l’Observatoire. Les villes gardent notamment un œil sur les espèces exotiques envahissantes qui font le plus souvent l’objet d’un plan de lutte spécifique (38 %) : la renouée du Japon, l’ailante, l’ambroisie ou encore la berce du Caucase, classée dangereuse par l’Anses, font partie des plus surveillées.

Un sujet encore épineux qui nécessite d’encadrer et de sensibiliser

Malgré le volontarisme des équipes municipales, le développement de la végétation spontanée rencontre déjà certains obstacles pointés par les villes interrogées. De nombreuses municipalités cherchent du renfort du côté des initiatives citoyennes en premier lieu(comme le projet Fleurs et bitum porté par les étudiants poitevins par exemple) pour les accompagner dans cette dynamique.

Mais même en étant une alliée de poids, lamobilisation des citoyensreste encore trop éphémère et trop peu suivie dans le temps pour la moitié des villes (51 %) voire limitée dans son impact par le nombre de citoyens engagés ou les zones géographiques concernées (86 %). Presque la moitié des villes évoquent également le manque de rigueur, de connaissances ou de formations des citoyens (43 %).

Les services nature en ville relèvent aussi des freins internes, demandant que le sujet soit intégré au sein d’un projet territorial cohérent – voire formalisé au sein du PLU par exemple – ou qu’il fasse l’objet d’une doctrine locale et harmonisée.

« Si l’investissement citoyen demeure indispensable pour accélérer l’acceptation, impliquer l’ensemble des parties et démultiplier les effets bénéfiques de ces politiques vertes, un cadrage apparaît essentiel en amont, exigeant du temps et des compétences spécifiques et souvent extérieures. » analyse Laurent Bizot, président de l’Unep et co-président de l’Observatoire.

Pour y remédier, les villes redoublent d’efforts de proximité : plus de 84 % ont renforcé leurs actions de communication et de sensibilisation à ce sujet,pour attirer l’attention des citoyens sur les enjeux et bénéfices d’une végétation spontanée.

Les municipalités ont aussi décidé de lutter contre les idées reçues et modifier la perception que les citoyens ont de la végétation spontanée : 54 % ont décidé de limiter l’usage de l’expression « mauvaises herbes » et 37 % valorisent en priorité les initiatives citoyennes. Un chantier important dont il est encore difficile de mesurer les retombées puisque seules 19 % des villes répondantes ont défini un seuil d’acceptabilité de cette végétation spontanée par leurs administrés.

Les campagnes fleurissent pour sensibiliser au retour de la végétation spontanée en ville.
Les campagnes fleurissent pour sensibiliser au retour de la végétation spontanée en ville
(crédits : Métropole de Lyon)

Végétation spontanée : appréciée par les citoyens, si encadrée !**

Enquête d’opinion réalisée avec l’institut Yougov en mai 2021

  • Végétation spontanée en ville : les Français sont en grande majorité pour !

Sans différence notable entre ville et campagne, plus des trois quarts des Français (79 %) y trouvent de l’intérêt et deux tiers (69 %) estiment même qu’il s’agit d’une bonne nouvelle pour la biodiversité en ville. Un peu plus de la moitié d’entre eux (55 %) estime même qu’elle devrait être plus visible – et presque autant (49 %) pense qu’elle embellit l’espace public.

  • De la végétation spontanée dans ma rue ? Oui, mais pas envahissante

Même si elle est plutôt appréciée, cette végétation nécessite d’être encadrée par les collectivités pour 66 % des Français interrogés. Avec une carte à jouer sur l’entretien ou la valorisation de cette nature spontanée :41 % des interrogés estiment qu’elle donne même un sentiment de négligence, même s’ils en apprécient les bénéfices.

  • Les femmes plus sensibles à la végétation spontanée que les hommes

Les femmes se déclarent plus réceptives aux externalités positives de la végétation spontanée en ville que les hommes : les deux tiers (67 %) des femmes pensent que la végétation spontanée a un rôle à jouer pour sensibiliser au sujet de l’écologie, contre un peu plus de la moitié des hommes (54 %), soit un écart de 12 points.

Méthodologie :
*L’enquête a été réalisée du 21 avril au 31 mai 2021 via un questionnaire envoyé par mail au panel de villes de l’Observatoire des villes vertes, 37 villes ont répondu.
**L’enquête a été réalisée auprès de 1010 personnes représentatives de la population nationale française âgée de 18 ans et plus. Le sondage a été effectué en ligne, sur le panel propriétaire Yougov France, du 6 au 7 mai 2021.